Meurtre et déchéance sociale dans la petite noblesse bretonne : les Denis de St Aaron.

Publié le par OlivierC

La fragilité sociale de la petite noblesse bretonne a été étudiée avec brio par Michel Nassiet. Cette fragilité pouvait la mettre à la merci de n’importe quel accident de la vie. Les procès, coûteux et complexes, pouvaient ruiner ces familles. Un procès pour meurtre intra familial pouvait aussi détruire la réputation et l’honneur de ces familles qui les insérer dans un réseau d’alliances et de solidarités.

 

Un cas permet d’illustrer ces problématiques : celui des Denis sieurs de la Closture à St Aaron, puisque l’épouse Anne Pétronille Bosquen dame de la Closture a été accusée d’avoir organisé le meurtre de son mari, l’écuyer Louis François Denis, sieur du Quenelleuc et de la Closture. Il fut assassiné d’un coup de fusil le 15 mai 1706 à St Aaron.

 

Louis François Denis soupçonnait son épouse de le tromper avec son valet François Levesque et de lui avoir fait deux bâtards, Jean Toussaint Denis et Jeanne Marie Denis, nés en mars 1706 et peut-être conçus lors de ses voyages à Rennes et à Paris, même s’il les reconnut lors de leur baptême le 14 mars 1706 à St Aaron.

François Levesque fut arrêté, condamné le 27 décembre 1706 et exécuté peu après.

Arrêtée en août 1708 Anne Pétronille Bosquen fut condamnée en décembre 1708 et fit appel échappant à l’exécution.

 

Deux livres abordent cette affaire en se limitant au procès :

- docteurs Armand Corre et Paul Aubry, « Documents de criminologie rétrospective (Bretagne, XVIIe et XVIIIe siècles) », 1895.

Les auteurs traitent du crime et plus rapidement du procès en six pages, convaincus de la culpabilité d’Anne Pétronille Bosquen.

- Sophie Houssière, « L’affaire François Levesque », Jadis Editions, 2017 (254 pages)

L’auteur présente sous une forme romancée le crime, l’enquête et le procès en s’appuyant sur les documents d’archives du procès. Son a priori est plutôt favorable à Anne Pétronille Bosquen.

 

Reste une question évacuée par ces deux auteurs. Le sort de la famille Denis après ce double drame et scandale. En effet le couple Denis-Bosquen avait eu avant cette tragédie huit enfants :

 

1. Louise Marie Denis °27/02/1688 St Aaron (p Louis Denis m Marie Courson)

 

2. Julienne Anne Denis °02/01/1691 St Aaron (p Julien Gabi m Anne Denis)

 

3. Claude Marie Denis °22/02/1693 St Aaron (p Claude Maurille de Brehant m Marie Bosquen)

 

4. Julien Denis °06/05/1695 St Aaron (p Julien Berart m Marie Claude Guillemot)

 

5. Françoise Marie Denis °17/03/1698 St Aaron (p Thomas Bosquen m Marie Louise Denis)

 

6. Madeleine Anne Denis °11/03/1704 Lamballe (St Jean) (p Thomas Joseph du Boisbily, m Julienne Anne Denis)

 

7. Jean Toussaint Denis °14/03/1706 St Aaron (p Jean Louis Ouyce m Sainte Guillemot) +27/07/1706 St Aaron (t Mathurin Loisel Gilles Gaudu)

 

8. Jeanne Marie Denis ° 14/03/1706 St Aaron (p Jean Reux m Françoise Marie Reux)

 

A la date du drame seuls un des deux bâtards supposés, Jean Toussaint, ainsi que sa sœur Madeleine Anne Denis, sont décédés de façon sure. Sophie Houssière, dans son livre, ne parle quasiment que de Louise Marie, Julien et Jeanne Marie, qu’elle donne pour vivants en 1723.

 

Avant d’analyser leur sort après le meurtre de leur père et la condamnation de leur mère, il importe d’essayer de comprendre qui sont ces Denis sieurs de la Closture à St Aaron.

 

Le couple Louis François Denis x Anne Pétronille est inégal car, s’ils sont tous les deux issus d’une famille noble confirmée lors de la réformation de la noblesse bretonne de 1668-1670, Louis François est un cadet et Anne Pétronille une héritière.

Les Denis sont famille localisée sur Erquy, Plurien et Plevenon. Louis François est né le 24 mars 1665 à Plevenon, fils de l’écuyer Louis Denis, sieur de la Chesnaye et de la Ville Rouault, et de Gillette/Gillonne du Bois/Bouays. Il est le quatrième enfant et troisième fils de ce couple de petite noblesse à la limite de la plèbe nobiliaire. Ce qui en fait un petit noble désargenté car dans la coutume de Bretagne le partage noble réserve à l’aîné, son frère Jacques Denis, sieur de la Ville Rouault, né en 1658 à Plevenon, les deux tiers des biens nobles ainsi que le principal manoir de la famille. Louis François devant se partager le reste avec son frère Florian et sa sœur Anne.

 

Les Bosquen sont une famille d’Hénansal. Anne Pétronille Bosquen, dame du Bourgneuf et de la Closture, née en 1665 à Hénansal, est la fille aînée de Jacques Bosquen sieur du Plessix et de la Closture et de Marie Courson. Anne Pétronille avait trois sœurs qui sont décédées avant 1681, ce qui a fait d’elle la seule héritière de ses parents.

Les Bosquen étaient sieurs du Bourgneuf à Hénansal et ont hérité de la Closture en St Aaron par le mariage de Jacques Bosquen avec Guillemette Herbert en 1600 à St Alban. Jacques étant l’arrière grand-père d’Anne Pétronille.

 

La première « victime » du drame fut la mère d’Anne Pétronille, Marie Courson, dame de la Closture, qui décéda à St Aaron le 01 mai 1707, juste un an après le meurtre. Il s’agissait d’une femme âgée qui s’était mariée en 1663 à Hillion avec Jacques Bosquen et devait être née vers 1640. (Deux Marie Courson sont née à Plouha, en 1631 une fille de Melchior Courson et Hélène Gicquel et en 1642 une fille de Claude Courson et Jacquette Le Gonidec).

 

Dès 1723 la Closture n’appartenait plus aux Denis, comme l’indique le plan terrier du duché de Penthièvre (AD22 1E532). Cette terre avait été soit confisquée suite au procès soit vendue. Les dépenses du procès ayant certainement appauvri la famille Denis.

 

Le sort des enfants survivants illustre cet appauvrissement.

 

Le sort de Louise Marie Denis, l’aînée, nous est inconnu. Les documents du proces montrent qu’elle est vivante en juillet 1706. Sophie Houssière l’indique comme vivant le 15 mai 1723 à la Closture mais selon le plan terrier du duché de Penthièvre la Closture a été vendue dès le 12 avril 1723 ! Aucune trace d’elle, mariage, décès ou parrainage n’a été retrouvée. (Une Louise Denis dame du Breuil-Lorand décède à Lamballe en 1721. Une homonyme ?)

 

Julienne Anne Denis la seconde des enfants du couple connut un sort plus tragique. Elle semble avoir vécu avec sa sœur Françoise Marie Denis et son mari Charles Deschamps. Elle est présente à leur mariage en 1725 à Plévenon puis est la marraine de trois de leurs enfants, en 1725 à Plévenon, en 1726 à Lannévez et en 1728 à Pordic. Elle décède la même année en août 1728 toujours à Pordic, âgée de 37 ans, en donnant naissance à un enfant illégitime hors mariage, un petit François Denis qui va mourrir à son tour en janvier 1729 à Pordic.

 

Le sort de Claude Marie Denis nous est également totalement inconnu.

 

Julien Denis l’héritier du couple Denis-Bosquen va quitter la Bretagne pour refaire sa vie loin de St Aaron en s’engageant dans l’armée et en se fixant dans les Flandres françaises à Gravelines. En juin 1735, à 40 ans, il a le grade de lieutenant lors de son mariage à Gravelines avec Anne Marie Dubie une jeune fille (roturière ?) originaire de Paris (paroisse St Jacques), fille de Nicolas Dubie et Y Benoit. Il décède à Gravelines en février 1748 avec le titre de sieur de la Chenay, que portait son grand-père. Il est indiqué comme échevin de Gravelines. L’acte de décès lui donne 45 ans alors qu’il en a 53. Le couple ne semble pas avoir eu d’enfants. Sa veuve se remarie à Gravelines en juin 1754 avec un officier du régiment d’Artois, Jacques Moulin. Elle a alors 60 ans et devait être née en 1694.

 

Françoise Marie Denis se marie en avril 1725 à 27 ans à Plévenon, paroisse d’origine de son père, avec un jeune homme de 25 ans, Charles Deschamps, roturier, originaire de St Denis en région parisienne, qui travaille comme commis de la Ferme du tabac en Bretagne. Le mariage semble avoir été précipité car six jours après sa célébration Françoise Marie Denis accouchait d’un petit garçon qui échappa de peu à la bâtardise. Le couple eu onze enfants entre 1725 et 1740. Ils vécurent à Plévenon, Lannévez, Pordic, Pléneuf puis revirent se fixer à Plévenon. Françoise décède en avril 1767 à Plouézec à 69 ans, Charles en novembre 1779 dans la même paroisse.

 

Madeleine Anne Denis est morte en nourrice à Plévenon en 1704 âgée de deux mois.

 

Jean Toussaint connut le même sort en 1706 âgé de quatre mois à St Aaron.

 

Jeanne Marie Denis est marraine en 1733 d’un des enfants de sa sœur Françoise Marie à Plévenon. Elle se marie en novembre 1734 à Hénanbihen avec un roturier malouin Sylvain Jean Deverelle (alias Deverel). Elle a 28 ans et porte le titre de dame de la Chenais. L’époux est né en 1709 à St Malo, fils de René Deverel sieur du Boisjoly et de Marie Magdeleine Lefebvre. Jeanne et son mari auront quatre enfants nés à St Malo entre 1744 et 1751. En septembre 1763 au mariage à St Malo d’une de ses filles, Renée Jeanne, Sylvain Jean est indiqué comme décédé et ancien maître perruquier. Jeanne Marie est elle donnée comme vivante à ce mariage ainsi qu'au mariage de leur fils Jean en avril 1776 à St Malo. Elle a alors 70 ans.

 

Le meurtre de Louis François Denis en 1706 a bien provoqué un véritable déclassement de ses enfants. La situation déjà fragile de cette famille de petite noblesse n’a pas résisté au drame de la disparition du père et des accusations contre la mère. Le fils héritier Julien a bien essayé de redémarrer une nouvelle vie loin de la Bretagne avec une carrière militaire mais il n’a pu se marier que tardivement et n’a pas eu de descendance connue. Deux de ses sœurs ont du se résigner à épouser des roturiers membres de la petite bourgeoisie.

Publié dans Etudes

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